EXTRAIT DE « MOURIR EN SOI »
«Le sentiment de la perte, de l’absence, celui qui tend vers la fin et qui résume, est conditionné par une forme de déchéance implacable et d’avilissement. J’ai toujours considéré l’existence comme un faisceau de petites morts, une succession de déclins ou de privations, imposés par le temps qui passe et les étapes consensuelles de la vie. Avant de devenir le titre du présent ouvrage, Mourir en soi est le premier vers d’un poème daté de 2010 et intitulé Nature morte. Cette expression définit avec précision le principe de cette conscience, de ces questionnements philosophiques, de ce rapport persistant avec soi-même face à la ruine et, plus prosaïquement, face à la difficulté de donner du sens à sa vie.
La spontanéité de l’écriture me fait défaut. L’exigence du verbe a toujours été un obstacle à mon épanchement littéraire et, avec le temps, s’est progressivement muée en une véritable contrainte. Alors, quand la peinture est venue remplacer le mot, elle s’est imposée sans peine, docilement, comme le déversoir providentiel du fatras que j’avais accumulé dans mon capharnaüm. Peindre des mots et habiller une pensée. S’agissant d’une démarche créative, l’intention est sensiblement la même. Pourtant, l’impulsion s’avère plus instinctive, satisfaisante et libératoire avec la peinture. Je peins des vivants aux allures macabres et des morts qui s’agrippent désespérément à la vie. Par centaines, ils défilent en une procession ininterrompue, tout en restant enfermés dans un espace confiné et souvent vicié. À la manière d’une catharsis, ce cortège de survivants guide mes pensées et mes choix artistiques. Le recours à la symbolique macabre dans ma peinture est singulièrement essentiel, familier. Ce n’est pas le produit d’un esprit torturé ou dépressif. Mon propos ne se limite pas à la seule évocation d’une humeur ou d’un état mélancolique. Par sa codification et sa charge dramatique, l’univers sombre que je dépeins contribue à provoquer une réaction primaire chez le spectateur. J’ai toujours été convaincu que ma peinture devait être source d’émotions […] L’être humain a cette faculté naturelle de se projeter dans ce qu’il observe. En soi, ce que je regarde me ramène spontanément à ma propre condition : la conscience de la mort me rappelle à la vie. »
Extrait de l’artbook Mourir en soi, œuvres et textes de Laurent Fièvre.
Liberté, Égalité, Fraternité
Acrylique, tissu,
plâtre et enduit
sur toile
81 × 54 cm
2013
Le Détachement
Acrylique et encre
sur papier
42 × 29,7 cm
2023
Gisant
Fusain, acrylique
et encre sur papier
42 × 29,7 cm
2023
BIOGRAPHIE
À travers une centaine d’œuvres présentes dans l’artbook Mourir en soi, explorez une décennie de l’univers unique de Laurent Fièvre. Tout autant accoucheur que fossoyeur, Laurent Fièvre est un peintre, sculpteur et illustrateur qui exploite ouvertement des thématiques macabres afin de bousculer, de questionner notre propre rapport à la finitude, ou d’engager une réflexion sur le parcours souvent accidenté de la vie.
Née d’un travail sur l’expressivité, la démarche de Laurent Fièvre (domicilié en Bretagne) vise en premier lieu à provoquer : au moyen de thèmes figuratifs, l’artiste aiguise les sentiments, déclenche des émotions, suscite des réactions pour mettre le spectateur face à sa propre condition. « Chacun y trouve sa propre histoire, ses propres limites, ses handicaps et imperfections. »
Pour accéder aux autres publications de Laurent Fièvre chez Abstractions, cliquer sur la photographie ci-dessous :
Amorphine