OEUVRE EN COUVERTURE
DE “LETTRES D’ALGÉRIE”,
par Leïla Marouane :
“Troubles and Ways 2”
par © Wladimir Quensière (2024)
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“LETTRES D’ALGÉRIE”, de Leïla Marouane
Constantine, en Algérie, 1999. Massi tente de se soustraire à l’armée, aidé par Jazia, sa grand-mère, une femme pleine de rêves de liberté et de paradoxes, tenant malgré tout à son rôle de gardienne des traditions. En filigrane, l’histoire tourmentée de Rose, la mère révolutionnaire de Massi et des quatre sœurs de ce dernier, dont l’aînée, Jenna, exilée à Paris et à qui sont adressées ces lettres. Massi se livre à Jenna comme à la seule personne capable de le comprendre. À travers la voix du jeune homme, c’est une partie de l’Algérie des années 1990, ou décennie noire, qui est racontée.
Avec Lettres d’Algérie, son nouveau roman subtil et poignant, Leïla Marouane continue de dénoncer les archaïsmes de la société algérienne. Du souffle de ses mots, les voix s’élèvent en écho d’une lutte permanente pour être libre.
Leïla Marouane est une journaliste et une femme de lettres franco-algérienne. Elle vit à Paris depuis 1991 et se consacre entièrement à la littérature depuis La Fille de la Casbah, (Julliard,1996). Traduite en plusieurs langues et récompensée par de nombreux prix, on lui doit, entre autres, Le Châtiment des hypocrites (Le Seuil, 2001), prix de la Société des gens de lettres, prix du roman français à New York, et La Jeune Fille et la Mère (Le Seuil, 2005 et Points, 2007), prix de l’Association des écrivains de langue française et prix Jean-Claude Izzo.
EXTRAIT
« (…) Je pris place sur le même banc où quelques heures auparavant je m’étais restauré, mon compagnon se posa à même le sable. Au moment où j’avalais la première goulée, il a dit :
— C’est ici que je les ai attendus.
— Qui ça ?
— Ceux qui se sont moqués de moi.
Le vin me brûlait un peu le gosier, mais que c’était bon de le sentir couler le long de mon œsophage pour gagner doucement mon cerveau. J’ai allumé une cigarette, j’ai tiré une longue bouffée que j’ai expulsée en essayant de former des ronds.
Je m’enivrais, et le Targui se taisait. Il regardait les vagues mourir à nos pieds. Il me restait des olives et un peu de pain de mon dîner, je lui en ai proposé, il a refusé et s’est remis à fixer la mer. L’instant d’après, de son bel accent du Sud, il s’est mis à déclamer :
— Elle est une. Elle est plusieurs. Elle est mythique. Elle est apocalyptique. Elle est conte et légende. Elle est histoire et civilisation. Elle est romaine et phénicienne, elle est ottomane et gauloise, elle est berbère et égyptienne, elle est juive et musulmane, elle est sarrasine et numide, elle est fatimide et grecque, elle est arabe et chrétienne… elle ne sait plus où donner de la tête. Elle est femme, elle est homme. Elle est virile, elle est féminine. Elle est ange et démon. Elle est androgyne et asexuée. Elle est illettrée et acculturée, elle est amère et éclopée. Elle est avenante, elle est blessante, elle est amour, elle est haine. Elle enfante des prophètes et des despotes, elle engendre des poètes et des bandits… elle ne sait plus qui elle est. Féconde, elle érige figuiers et oliviers, elle se couvre de vignes et de bougainvilliers. Stérile, elle est sécheresse et misère. Corrompue, ses enfants la fuient. Femme courage, elle prend soin de ses petits. Chaste et pudique, elle fleure le jasmin et se voile de satin. Libertine et lascive, elle se poudre de safran, elle s’enduit d’huile d’argan. Dolente, elle se ravage. Digne, elle embellit ses rives. Généreuse, elle offre ses rivages. Elle est mère, elle est sœur, elle est père, elle est frère… Elle ne situe plus sa parenté. Persécutée, opprimée, pacifiste, altruiste… Elle ne sait plus où elle en est. Belliciste, totalitaire, sanguinaire, autocrate, vénale, cruelle, fanatique, elle trahit, elle se renie, elle affectionne les conflits. Immense, infinie, elle est musique, elle est poésie. Adulée, elle irradie. Répudiée, elle dépérit. Sans chaînes, elle se livre, elle se dévoile. Muselée, enlinceulée, elle se meurt, elle s’éloigne. Elle se mutile, elle s’abîme, elle s’enlaidit. Elle s’apprête, elle se pare, elle embellit. Elle n’a plus toute sa tête.
— C’est beau, lui dis-je. C’est dans le Coran ?
— Non, non, il a dit. J’ai appris ça hier, quelqu’un la récitait pendant que nous attendions le passeur.
— Qui ça « on » ?
— Eh bien les gens dans la lame de fond… »
BIOGRAPHIE
Leïla Marouane est une journaliste et une femme de lettres franco-algérienne. Après des études de médecine écourtée, elle entame des études de lettres modernes à la faculté d’Alger. Parallèlement, elle est journaliste au quotidien Horizons puis El Watan. Ses chroniques, où elle s’attaque à des tabous, comme la condition des femmes musulmanes, ont failli lui coûter la vie. En 1990, elle est victime d’une terrible agression par un commando, et laissée pour morte. Elle se réfugie à Paris, où elle vit depuis 1991 et se consacre entièrement à la littérature depuis La Fille de la Casbah, (Julliard, 1996). Elle est traduite en plusieurs langues et récompensée par de nombreux prix. On lui doit, entre autres, Le Châtiment des hypocrites (Le Seuil, 2001), prix de la Société des gens de lettres, prix du roman français à New York, et La Jeune Fille et la Mère (Le Seuil, 2005 et Points, 2007), prix de l’Association des écrivains de langue française et prix Jean-Claude Izzo.